Nouvelle "Sans fil ..." Partie 5

Publié le par Timmette

 

"Frank vit avec Violette depuis deux ans. Il la chérit de toute la force rigoureuse de son amour sincère.

Il n’a jamais vraiment compris pourquoi elle l’a choisi, lui, plutôt qu’un autre. Elle qui a tous les hommes à ses pieds. Et en homme prudent, il a pris soin d’écarter cette délicate question.

De toute façon, aujourd’hui, c’est décidé, il va en faire sa femme. Elle l’accompagnera aux États-Unis dès la rentrée prochaine. Là-bas, il trouvera de l’argent pour ses recherches. Là-bas on ne traite pas les chercheurs moins bien que des cobayes de laboratoire.

Il va la demander en mariage, et elle va dire oui. Il faut qu’elle dise oui. D’ailleurs fidèle à son rigorisme scientifique, il a tenu à mettre toutes les chances de son côté. Il va l’emmener à Venise et là, au clair de lune, sous le Rialto, il lui fera la déclaration la plus romantiquement irréfutable de l’histoire du grand canal. Ça ne peut pas rater. Le départ est pour demain, il la prendra en fin d’après-midi, l’invitera à dîner et puis direction l’Orient-Express …

En attendant il lui mitonne des spaghettis bolognaises avec du parmesan, un avant-goût, une mise en bouche.

 

Mais Violette est en retard.

Les pâtes seront trop cuites…

 

 

 

  

 

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Boulevard de l’observatoire.

La grille qui ferme l’entrée du parc est close. Julie devine la masse sombre de la bâtisse plus loin, surmontée de sa coupole. Elle a pensé à Violette toute la journée. Violette, un ange tombé des étoiles, avec ses longs cheveux blonds et son air de petite fille fragile. Un ange qu’on lui dépêche pour lui prouver qu’il est possible d’aimer, encore.

Mais comme Dieu est dépressif, comme les bonheurs simples l’indispose, il lui missionne un esprit céleste inaccessible, un séraphin hétéro !

 

Ne pas craquer. Une amie, tu dois t’en faire une amie, rien de plus…Sinon tu risques de la perdre complètement, c’est toujours la même histoire, tu te souviens ?

 

Julie sursaute lorsque Violette paraît derrière la grille.

— « Coucou. Ça va ? T’as pas eu de mal à trouver ? Longe le mur, il y a une entrée plus loin, je t’attends là-bas »

Cent mètres plus loin, Violette lui sourit dans l’encadrement voûté de la petite porte qu’elle vient d’ouvrir. Julie s’arrête. Violette lui rappelle une de ses icônes qui ornent les murs des églises orthodoxes, sacrées et inaccessibles.

Elles se font la bise.

  • « On va aller là-haut ! », dit Violette en pointant la coupole,

« Tu t’es habillée chaudement j’espère ! »

Julie la suit, silencieuse. Elles pénètrent dans l’observatoire, traversent des salles éteintes, longent des vitrines où s’entassent pêle-mêle de vieux instruments optiques.

Le plancher grince sous leurs pas, ça sent la poussière et le vieux cuir. C’est vrai qu’on y retrouve comme un petit air du cinéma de Rosie. Enfin, elles débouchent sur les toits où l’air frais les cueille, avant de pénétrer sous la coupole…

 

Julie est impressionnée par le lieu, par l’instant, par Violette.

 

Violette, elle, est nerveuse. La petite voix de sa raison ne se tait pas, elle parle à la cartésienne, à la scientifique :

 

Mais qu’est-ce que tu fais là ce soir ? En plus, tu la connais à peine cette fille. Et puis ce n’est pas elle que tu vois, c’est Marion. Tu crois que c’est honnête ça ? Et Frank ?

À force de l’abandonner tous les soirs, il va finir par se demander si tu n’as pas un Jules. Tu vas lui répondre quoi ? « Non, j’ai une Julie ! » Tu disjonctes ma pauvre fille, tu disjonctes…

 

Julie sursaute lorsque brisant le silence d’un grincement rauque, le toit de la coupole se fend en deux sur près d’un mètre, laissant paraître le ciel.

 

Observer les étoiles en plein Paris est une gageure. La pollution atmosphérique et lumineuse rend la chose sans intérêt scientifique et depuis longtemps, l’observatoire n’est plus un centre en activité. Aujourd’hui c’est plus un musée qu’autre chose. D’ailleurs le télescope que manœuvre Violette, avec toute la déférence et le respect qu’on doit à un vieux monsieur, en est le témoin.

Violette manipule les molettes, actionne des engrenages qui roulent en cliquetant, puis se penche sur l’objectif et sourit :

— « On a de la chance, la visibilité est étonnamment bonne ce soir. C’est sûrement grâce à toutes ces averses. Viens voir ! »

Julie approche, craintive. Violette l’encourage :

— « Regarde ! »

Là, au fond de l’objectif, une petite boule ronde scintille, lumineuse, d’une netteté hypnotique sur le fond noir du ciel. Julie reconnaît Saturne et ses célèbres anneaux, probablement le seul objet astronomique qu’elle est capable de nommer sans erreur :

— « Saturne ? »

— « Oui. »

— « Et les petits points brillants autour ? »

— « Ses satellites. Ses lunes si tu préfères. La terre n’en possède qu’une, Saturne en a 10, mais là, on ne voit que les plus grosses… »

 

Ainsi débute leur voyage. À présent, guidées par Violette, elles parcourent d’un regard les années lumières qui les séparent d’astres lointains, de nébuleuses diaphanes, vestiges d’explosions innommables, quittent la galaxie et plongent dans des abîmes insondables qu’on ne mesure qu’à coup de million ou de milliard.

Le cerveau de Julie est au bord de l’éruption, elle peine à suivre l’intarissable Violette qui d’explications en commentaire l’entraîne toujours plus loin.

 

Elles sortent. Julie referme la coupole. Il est trois heures du matin. La lune vient de se lever sur les toits de Paris.

Violette s’assoit près de Julie et lui demande une cigarette. Pourtant, elle a arrêté de fumer il y a trois ans…

 

— « Mon Jules va me pourrir, j’avais dit que je rentrais à minuit ! »

— « Ah ! »

 

Oh ! Non Violette, s'il te plaît, je suis là, avec toi. Je vis un rêve, ne me parle pas de ton Jules, par pitié…

 

— « Et toi personne ne t’attend ? »

— « Non, plus depuis quelque temps. Je vivais avec quelqu’un. Avec… avec une fille en fait. Mais c’est fini depuis des mois maintenant… »

 

Oh ! Et puis zut, après tout autant qu’elle sache…

 

— « Ah bon. Et ça va, ce n’est pas trop douloureux ? »

— « Non, c’est juste lancinant, comme une illusion perdue. »

— « Je vois. Et le cinéma c’est ton boulot, ou juste une passion ? »

— « Les deux. Mais j’aimerai réussir à en vivre. J’ai fait des études pour être monteuse, mais dans ce milieu quand tu ne connais personne, ce n’est pas facile. Le ciné, ça m’a prise toute petite, c’est vraiment mon truc. »

— « Raconte-moi ton film préféré… »

— « Ne me lance pas sur ce sujet là, tu ne vas pas t’en sortir ! »

— « Je t’ai pris la tête pendant des heures, venge-toi. »

— « O.K. tu l’auras voulu ! »

 

Cinématographiquement parlant, Violette confesse volontiers son inculture crasse. Elle n’a jamais eu le loisir de s’intéresser à l’art, au septième encore moins qu’aux six autres ! Pour elle Tati est un magasin pas cher et Audiard une marque de foie gras… Cependant lorsque à son tour elle écoute Julie, elle se laisse emporter par sa passion communicative, par la flamme qu’elle met dans ses explications. Elle l’observe mimer ses scènes préférées à grand renfort gestes, peinant à reconnaître la jeune femme intimidée qui l’avait religieusement écoutée jusque là..

Elle aime la force que Julie dégage en cet instant. Elle sourit.

 

À présent, la lune est haute dans le ciel, elles ont un peu froid.

 

— « Julie ? »

— « Oui ? »

—« J’ai envie de te parler de quelque chose d’intime. De quelque chose que je n’ai jamais osé avouer à personne, mais que, toi, tu peux entendre. »

Et sous le regard intrigué de Julie, elle poursuit :

  • « Il y a longtemps, j’ai eu une histoire… avec…avec…zut, c’est pas facile à dire »

Elle tousse, se frotte les sourcils, change de position.

  • « Attend, je vais y arriver… »

Elle rit nerveusement et inspire un grand coup.

  • «  Je suis sortie avec une…une fille… une fois. J’avais 15 ans. J’étais au lycée, c’était une copine de classe. Ça n’a pas duré longtemps mais c’était absolument merveilleux, enivrant. Et puis elle a déménagé et là ce fut si douloureux. Pourtant, inexplicablement, j’ai effacé ce souvenir de ma mémoire, je l’ai gommé, rayée, jusqu’à hier. Jusqu’à ce que je voie ce film et jusqu’à ce que je te voie, toi…En fait tu me rappelles cette fille, tu… tu… lui ressembles… »

Elle avait parlé très vite, comme si le flot de cet aveu trop longtemps contenu lui avait soudain échappé. Julie la regardait, ses yeux se firent tendre.

— « Elle s’appelait comment ? »

— «Marion…elle s’appelait Marion. »

 

Laquelle des deux tendit ses lèvres à l’autre ? Il est impossible de le dire. Ce fut sûrement un élan commun. Mais pour chacune d’elle, le baiser qui suivit cette confession restera un moment d’une sensualité absolue.

 

Pour elles, le temps cesse un instant de s’égrainer sans but et les laisse suspendues à la douceur infinie des lèvres de l’autre. Leurs langues s’effleurent, leurs souffles se respirent. Violette passe une main dans les cheveux de Julie, ses doigts glissent entre ses mèches courtes, tandis que Julie lui caresse la joue, émue.

Lorsque, enlacées, elles se regardent à nouveau dans la clarté argentée de l’astre qui les observe, elles ne peuvent s’avouer l’intensité sidérante de ce qu’elles viennent de partager.

 

Julie a tout juste le temps de penser :

 Ça y est, je suis foutue ! 

Tandis que Violette songe :

 Mais qu’est-ce que je suis en train de faire !

 

Aucune des deux ne peut posément faire face à la violence de cette attraction. Elles doivent fuir, ou au moins, faire diversion…"

 

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